Ce film, sorti en 2014, a été réalisé par Xavier Dolan, un jeune homme brillant et plus que prometteur.
Le film suit l'histoire d'une mère, Diane, et de son fils, hyperactif et violent, qui essaient jour après jour de vivre ensemble tout simplement et de surmonter les obstacles entreposés sur leur chemin.
Xavier Dolan nous dépeint, ici, une relation exceptionnelle, un amour inconditionnel et fusionnel entre deux personnes. Diane reprend son fils, Steve, après que celui-ci ait rencontré des démêlés avec la justice. Elle ne souhaite pas le voir en prison et prend donc la responsabilité de continuer à veiller sur lui du mieux qu'elle peut tout en essayant de joindre les deux bouts. Elle veut le sauver mais peut-il l'être ? Toute la question repose en ces mots : peut-on sauver la personne qu'on aime le plus au monde ? Il s'agit du thème principal de ce long métrage.
Très vite on s'aperçoit qu'en plus d'être hyperactif, Steve est agressif, violent et se laisse très vite emporter par ses émotions. C'est d'ailleurs lors d'une de ses crises, qu'entre en scène Kyla, la nouvelle voisine. Elle va être de plus en plus présente dans leur vie et à eux trois forment en quelque sorte une petite famille. Kyla souffre elle aussi d'un problème assez handicapant au quotidien. Depuis bientôt deux ans, elle éprouve des difficultés à s'exprimer. Sa personnalité est très touchante et on s'attache rapidement à elle.
Au contact de cette famille et aidée par cette dernière, elle va vivre comme une sorte de thérapie. Un peu plus tard, nous prenons connaissance qu'elle avait un fils, présumé mort puisqu'il n'apparaît jamais, qui ressemble étrangement à Steve. Mêmes yeux, même couleur de cheveux, etc. Cela expliquerait cet attachement soudain pour l'adolescent. Kyla voit en Steve le fils qu'elle n'a jamais eu la chance de voir grandir. Cette relation ambigüe est parfaitement représentée par cette scène très symbolique où l'on voit Kyla et Steve au milieu de la route avec, pour seule séparation, la ligne de marquage. Deux mondes s'opposent, lui et sa mère d'un côté et la famille de Kyla de l'autre. Lui, souhaite qu'elle reste et au fond Kyla aussi, ce qu'elle va faire d'ailleurs.
Pour en revenir à Steve de manière plus approfondie, nous constatons, comme mentionné précédemment, que c'est un jeune homme violent, agressif par moments, qui ne tient pas en place et qui dit tout ce qu'il lui passe par la tête. Il arrive à nous faire rire à force d'utiliser à tout bout de champ les mots "fucking" et "tabernacle". Steve a un côté humoristique et le film joue beaucoup sur ça. Nous rions autant que nous pleurons. De plus, derrière cette carapace qu'il s'est forgé au fil des années, nous aperçevons que le jeune homme cache un côté très sensible, à fleur de peau. Nous le voyons notamment lorsque qu'il craint que sa mère ne l'aime plus assez voire plus du tout, après cette scène où Diane paraît désemparée, ne sait plus quoi faire, voulant faire un break, et qu'il décide de se suicider. Situation identique lorsqu'il souhaite chanter une chanson au cours d'un karaoké dans un bar et qu'il se fait humilier par les gens qui se moquent et qui ne se rendent absolument pas compte qu'ils sont en train de le blesser au plus profond de lui-même. Durant cette scène, la tension est palpable, on sent que la situation va déraper et c'est le cas puisque Steve se jette sur l'un de ses "persécuteurs" et l'agresse.
Pour en revenir à cette tentative de suicide, le plan séquence qui suit est très bien réalisé. Il est intéressant de voir comment ce silence, vers la fin de la scène dans l'ambulance, a un impact émotionnel fort. Dans l'ambulance nous avons suivi cette course symbolisant les obstacles sur leur chemin, les étapes de leur vie et le soutien indéfaillible de "deux mères". Et là, ce silence arrive. C'est l'apothéose, le paroxysme de cet ascenseur émotionnel qu'on vient de subir. Notre coeur s'arrête en même temps tellement nous sommes happés par cette atmosphère particulière.
Très proche de sa mère, il veut la protéger. C'est comme s'il voulait endosser le rôle de l'homme de la maisonnée et tout faire pour que sa mère soit heureuse. Il éloigne les dangers ; l'homme qui court après sa mère depuis longtemps en fait d'ailleurs l'expérience. Aussi, cette image de "responsabilité", de protection vient du fait que son père n'est plus là pour le faire. On voit souvent cette scène du placard où sont entreposés les vêtements de son père. Il lui arrive de les porter et ce fameux placard représente d'une certaine manière l'ombre omniprésente du père qui père sur la famille en silence ou alors qui pourrait s'apparenter davantage à une quête d'identité de la part de Steve.
Son monde était étriqué, fermé, oppressant mais avec ces deux femmes à ses côtés il retrouve l'envie de rire et de vivre tout simplement. Il y a un message d'espoir montrant que le bonheur est à portée de main. D'un coup cette liberté explose à l'écran au moment où celui-ci, le format dans lequel est tourné le film s'élargit. Steve étend son champ de vision et perçoit, insconsciemment, les nouvelles possibilités et opportunités qui s'offrent à lui. C'est comme un nouveau souffle. Il est simplement heureux et c'est un bonheur à l'état pur dont il est question. Par ailleurs, accompagnée de la musique cette scène à son petit effet.
Il est vrai que le fait que Dolan joue avec le format vidéo, restreint puis ouvert aux moments des tensions, est très intelligent. Cela procure au film une tout autre dimension et crée une atmosphère spéciale. Aux moments de doutes, de peur, d'agitation l'écran étant minimisé il se crée une bulle dans laquelle nous sommes plongés entièrement. Et quand il faut en sortir, nous ne le faisons pas indemnes.
Le film se poursuit avec des passages saississants. Et ce, notamment quand la mère de Steve rêve d'une vie "normale", c'est-à-dire la remise des diplômes, un mariage, des enfants, etc, pour son fils. On perçoit la fierté d'une mère, des instants de joie, le sentiment d'avoir battue la vie à son propre jeu et d'avoir surmonté tous les obstacles qui étaient face à eux. Cependant, la scène s'évapore soudainement et la réalité revient à grands pas. Diane, en effet, savait où elle allait et où elle emmenait son fils tandis que l'intéressé et Kyla n'en avaient pas la moindre idée. Elle savait qu'elle l'abandonnait et le conduisait au seul endroit où elle refusait de le laisser jusqu'à maintenant: en hôpital psychiatrique. Cette partie est vraiment déchirante et vous brise le coeur. Depuis le croisement sur la route où elle a tourné on sent que quelque chose ne va pas. La métaphore du tournant, cette fameuse croisée des chemins, le tournant qui fait tout basculer, la séparation entre le passé et l'avenir, la vie de joie et parfois de souffrance qu'ils ont vécu jusqu'ici et la séparation tout simplement d'une mère et d'un fils, etc ; tous ces éléments sont présents ici. Biensûr nous ne sommes pas épargnés par les cris et la douleur. Kyla est très émouvante dans cette scène. Elle se tient la tête, elle est en larmes, à l'image d'un hurlement resté bloqué à l'intérieur de soi. C'est comme si c'était son propre fils qui lui était arraché une fois encore, comme si c'était lui qu'on avait enfermé. Diane, aussi, se rend vite compte de l'épreuve qu'elle inflige à son fils et à elle-même d'un certain côté. Elle est effondrée. Nous pouvons, en toute honnêteté, comprendre son choix. Elle le fait pour son fils, pour son bien. Nous avons devant nous la représentation de ce qu'une mère, par amour pour son enfant doit faire, prendre des décisions dures et ce, malgré les conséquences, le mal et le déchirement que cela peut engendrer.
Enfin, le film se clotûre avec le départ de Kyla, qui déménage et Diane qui se retrouve donc seule. De même que la dernière séquence est poignante. On voit Steve se libérer et s'échapper des mains du personnel de l'hôpital puis courir dans le couloir droit vers la fenêtre sur fond de Lana Del Rey avec "Born To Die"; la musique est-elle ici une part d'explication ?
L'oeuvre de Xavier Dolan donne également la place aux femmes, leur donne la parole. Les relations humaines sont au centre mais également l'individu seul, l'individu en lui-même avec ses côtés sombres. Aussi, l'accent, québécois, aide à accentuer l'authenticité. Enfin, l'acteur, Antoine Olivier Pilon est à surveiller de près. C'est un jeune homme très talentueux qui livre une très grande performance.
La bande son est exceptionnelle et s'intègre à la perfection au film. On entend du Céline Dion, du classique en passant par Dido, Oasis ou encore The Counting Crows. La musique a elle seule est même parfois un dialogue nous aidant à voir plus clair et qui nous délivre des informations nous faisant comprendre la situation par moment d'un autre point de vue et voir au-delà. La musique a été utilisé de manière intelligente.
Bref, ce film est vibrant, boulversant et ne laisse pas indifférent. C'est un petit bijou du septième art.